Notice
Anisakis simplex : du ver infectieux obscur à l'inducteur d'une hypersensibilité immunitaire
Anisakis simplex: from obscure infectious worm to inducer of immune hypersensitivity
Audicana * M.T., Kennedy M.W.
* Santiago Apóstol Hospital, Allergy and Clinical Immunology Department, C/Olaguibel 29, 01004 Vitoria-Gasteiz, Basque Country, Spain ; Tél.: (34)945.00.77.52 ; Fax : (34)945.00.76.08 ; E-mail : mariateresa.audicanaberasategi@hsan.osakidetza.net
Clinical Microbiology Reviews, 2008, Vol. 21 (2), p. 360-379 - Doi :10.1128/CMR.00012-07 - Texte en Anglais
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Analyse
L'homme peut être l'hôte accidentel de nématodes (vers ronds) qui, s'ils ne peuvent pas achever leur cycle dans l'organisme humain (qui constitue une impasse parasitaire dans leur cycle), peuvent cependant provoquer des maladies, soit directement, soit en induisant des réactions d'hypersensibilité immunitaire. Le cas d'Anisakis simplex en est un exemple typique. D'abord considéré, dans les années 60, comme responsable d'infestations occasionnelles, ce ver parasite est maintenant largement reconnu comme le responsable de réactions allergiques sérieuses.
Anisakis simplex est un parasite qui passe par plusieurs hôtes au cours de sa vie. Les œufs éclosent dans l'eau de mer et les jeunes larves sont mangées par des crustacés qui sont à leur tour mangés par des poissons. Dans les poissons on rencontre habituellement des larves de stade 3. La larve perce la paroi de l'intestin du poisson et s'enkyste, le plus souvent dans la masse viscérale, mais aussi parfois dans le muscle du poisson. Le cycle parasitaire est bouclé quand un poisson infesté est mangé par un mammifère marin (phoque, dauphin ... ), hôte final dans lequel la larve atteint sa maturité sexuelle et se reproduit. Les œufs sont excrétés avec les fèces et éclosent dans l'eau de mer.
Plusieurs familles d'helminthes (vers parasites des animaux et de l'homme) peuvent infester accidentellement l'homme après consommation de poisson cru ou insuffisamment cuit. Mais les infestations les plus courantes sont dues aux larves de deux espèces de nématodes : Anisakis simplex, le plus fréquemment rencontré, et Pseudoterranova decipiens moins fréquent, mais cependant assez commun. Le premier cas d'infestation humaine par un ver de la famille des anisakidés a été observé il y a plus de 50 ans aux Pays-Bas. Depuis, la majorité des cas ont été rencontrés au Japon, en raison de la consommation fréquente de poisson cru dans ce pays. Mais la bibliographie rapporte maintenant des cas répertoriés dans le monde entier.
La dénomination de ces infestations a été codifiée en 1988 par un groupe d'experts. La terminologie suivante est employée :
- l'anisakidose correspond à une maladie provoquée par un membre de la famille des anisakidés ;
- l'anisakiase correspond à une maladie causée par un membre du genre Anisakis ;
- le terme pseudoterranovose est utilisé pour les maladies provoquées par un représentant du genre Pseudoterranova.
Les infestations humaines par des représentants des anisakidés provoquent fréquemment des symptômes gastro-intestinaux pouvant être associés à des réactions immunologiques de gravité variable, souvent de type allergique. Certains patients présentent également des réactions d'hypersensibilité plus généralisées, sans désordre digestif. Les extraits d'Anisakis simplex font maintenant partie des tests standards de recherche allergiques. Il est également possible que ce parasite soit impliqué dans les syndromes d'urticaire chronique. Des symptômes rhumatismaux peuvent parfois être rencontrés. Certains épisodes allergiques peuvent apparaître en présence de très faibles doses d'antigène d'Anisakis simplex et sans intervention du parasite vivant, par exemple à la suite de tests cutanés avec des extraits d'Anisakis simplex, ou par inhalation, provoquant des dermatites, des conjonctivites ou de l'asthme. Des réactions allergiques, attribuables à Anisakis simplex, liées à la consommation de poulet probablement nourri avec de la farine de poissons contaminés par le parasite ont été observées. De même, de l'immunoglobuline E a été détectée chez des mareyeurs sensibilisés présentant des symptômes asthmatiques dus au contact cutané avec des poissons parasités par Anisakis simplex.
Épidémiologie
Un grand nombre d'espèces de poissons sont infestées par des larves d'anisakidés et sont susceptibles de provoquer une anisakidose quand les larves sont ingérées vivantes (poisson consommé cru ou insuffisamment cuit). Quelques heures après l'ingestion des larves vivantes d'Anisakis simplex, surviennent des nausées, des vomissements et des douleurs abdominales violentes. Si les larves passent dans l'intestin, une réaction de type granulome éosinophile peut également se produire. Certains patients développent également des symptômes allergiques.
La consommation de produits alimentaires tels que les sushis et le sashimi (poisson cru), les poissons fumés à froid, le gravlax (spécialité culinaire d'origine scandinave, à base de saumon cru), les marinades acides, le ceviche (marinade de poissons, de jus de citron vert et d'oignon, originaire d'Amérique du Sud), peut présenter un risque d'infestation dans la mesure où la préparation de ces plats ne permet pas de détruire les larves. Le salage, le séchage, le marinage acide, le fumage à froid sont, dans la grande majorité des cas, inefficaces pour détruire les larves d'anisakidés.
Pour les tuer, il faut appliquer :
- soit une cuisson traditionnelle de plus d'une minute à température supérieure ou égale à 60°C,
- soit une cuisson micro-ondes d'au moins 15 s à une température supérieure ou égale à 74 C,
- soit une congélation d'au moins 24 h à une température inférieure ou égale à -20°C (Europe et Japon) pour le poisson destiné à être consommé cru.
Aux États-Unis et au Canada, la réglementation exige une congélation d'une semaine à -20°C ou de 15 heures à -35°C.
Des études menées au Japon et en Chine font apparaître que les risques d'anisakiase seraient réduits par la consommation du poisson à la fin du repas, quand l'estomac est plein. Certains condiments, tels que le gingembre, permettraient également de réduire les risques d'anisakiase.
Aux États-Unis, le saumon sauvage consommé en sushis est à l'origine de la majorité des anisakidoses enregistrées. En Europe, l'espèce principalement incriminée est le hareng. En Espagne, l'anchois mariné est fréquemment mis en cause. D'une manière générale, un accroissement du nombre des enregistrements d'anisakidose est observé aux États-Unis et dans le monde ; il peut être imputé à :
- la distribution très large des anisakidés dans tous les océans,
- l'accroissement des populations de mammifères marins,
- l'évolution des habitudes alimentaires (plats exotiques),
- l'utilisation croissante de procédés de cuisson rapides (micro-ondes),
- la tendance croissante à éviter de surcuire les aliments,
- l'accroissement de la consommation de poisson.
La pseudoterranovose (provoquée par le ver de la morue, Pseudoterranova decipiens) est rare au Japon et en Europe. Elle est plus fréquente aux États-Unis et au Canada. Pseudoterranova decipiens est principalement hébergé par la morue du Pacifique, par le flétan du Pacifique et par le sébaste aux États-Unis.
Des cas d'hypersensibilité associés à Anisakis ont été enregistrés de façon particulièrement importante en Espagne (jusqu'à 14 % de la population dans certaines régions d'Espagne) mais les tests recèlent un risque de faux positifs du, notamment, à des réactions croisées entre des antigènes similaires issus de diverses origines. Néanmoins, il est maintenant clair qu'en Espagne, Anisakis simplex est l'allergène caché d'origine alimentaire le plus important dans la population adulte souffrant d'urticaire aiguë et d'anaphylaxie. Les espèces de poisson principalement incriminées sont le merlu (cuit), l'anchois (cru mariné), le cabillaud (cuit) et le thon (cru). Il faut également noter que des réactions allergiques ont été observées en Espagne, chez des patients déjà sensibilisés, à la suite de consommation de conserves de poisson (notamment 4 cas liés à des conserves de thon).
Pathogénicité
Les infestations sont caractérisées par le développement conjoint de réponses de types allergique et immunomodulatoire (modulant le système immunitaire). Bien que les réactions allergiques aiguës soient rares, elles peuvent être importantes dans le cas de libération accidentelle des antigènes du parasite dans la circulation générale du corps, par exemple lors d'une intervention chirurgicale destinée à extraire le parasite. Les réponses de l'organisme à une infestation parasitaire intestinale sont associées à :
- la production de cytokines Th2 (les cytokines sont des substances solubles de communication synthétisées par les cellules du système immunitaire) et les mastocytoses qui en résultent (maladies se caractérisant par la présence de lésions internes du tube digestif) ;
- la production d'anticorps (immunoglobuline E, IgE) ;
- l'éosinophilie (augmentation du nombre des leucocytes polynucléaires éosinophiles).
Des pathologies associées sont observées, elles incluent : des maladies auto-immunes, une intolérance aux antigènes oraux, une susceptibilité accrue aux infestations secondaires et une réduction de l'efficacité des vaccins.
Au cours des dernières années, les études ont montré que la pathologie liée à une infestation par Anisakis simplex est le résultat de l'action directe des larves sur les tissus intestinaux, et des interactions complexes entre le système immunitaire de l'hôte et les substances libérées par (ou contenues dans) le parasite.
Pour pénétrer la muqueuse gastro-intestinale de l'hôte et s'y enkyster, Anisakis simplex agit probablement à la fois par rupture mécanique des tissus et par libération d'enzymes protéolytiques, provoquant ainsi des lésions érosives et hémorragiques de ces tissus.
Des mécanismes immunopathologiques entrent en œuvre dans l'hypersensibilisation des patients (chocs anaphylactiques), observés à la suite de réinfestations successives par Anisakis simplex.
L'un des caractères distinctifs de l'anisakiase, observé sur les lésions provoquées par les larves d'Anisakis simplex, est la présence remarquable d'infiltrations éosinophiliques dans les tissus proches du parasite. Ces leucocytes polynucléaires éosinophiles adhèrent à l'épicuticule du parasite et libèrent des facteurs cytotoxiques qui, s'ils semblent incapables d'attaquer la cuticule du nématode, sont probablement responsables des dommages importants causés aux tissus intestinaux proches du parasite.
En matière d'allergie vis-à-vis d'Anisakis, les réponses immunes innées se distinguent des réponses immunes adaptatives. Parmi les réponses innées, peut être cité, par exemple, l'accroissement du renouvellement épithélial interne du gros intestin, peut-être dans l'objectif de favoriser l'expulsion du parasite niché dans la paroi intestinale. Les leucocytes polynucléaires basophiles sont également impliqués dans certaines réponses innées à une infestation par Anisakis simplex. Parmi les réponses adaptatives, beaucoup concernent la production d'anticorps spécifiques par l'organisme infesté.
Les allergènes provenant d'Anisakis
Dans le cas d'une anisakidose humaine, le patient peut être exposé à trois grandes catégories de profils d'antigènes :
- tous les antigènes excrétés/sécrétés (ES) par le parasite vivant, ainsi que les antigènes somatiques et cuticulaires. C'est le cas à la suite d'une pénétration de la larve vivante dans les tissus puis de sa dégénérescence. Cela conduit à une exposition au profil complet des antigènes du parasite ;
- seulement les antigènes excrétés/sécrétés (ES), dans le cas où il y une expulsion du parasite intact ;
- les antigènes cuticulaires et somatiques de la larve morte contenue dans la nourriture. Dans ce cas, les antigènes ES seront présents seulement en quantité minimale.
À l'heure actuelle (2009), huit allergènes provenant d'Anisakis simplex ont été décrits sur le plan moléculaire. Six d'entre eux sont des antigènes excrétés/sécrétés et deux sont d'origine somatique.
Ani s 1 est un allergène majeur, très résistant à la chaleur (plusieurs cycles de 30 min à 100°C). C'est une protéine qui présente certaines similitudes avec des inhibiteurs de la protéase de la sérine, sans en posséder les propriétés inhibitrices. Ani s 2 et Ani s 3 sont deux allergènes d'origine somatique. Il s'agit respectivement de la paramyosine et de la tropomyosine. Ani s 3 est thermostable. Ani s 4 et Ani s 6 sont des allergènes excrétés/sécrétés et sont respectivement des inhibiteurs de la protéase de la cystéine et de la protéase de la sérine. Ani s 4 est thermostable (30 min à 100°C) et résiste à la digestion pepsique. Ani s 6 n'est pas un allergène majeur. Ani s 5 et Ani s 8 sont des allergènes excrétés/sécrétés thermostables. Ani s 7 est une glycoprotéine excrétée/sécrétée. A noter qu'Ani s 7 est la cible du diagnostic de l'anisakiase effectué avec l'anticorps monoclonal UA3 MAb et semble être reconnue chez 100 % des patients allergiques.
La thermostabilité de nombreux allergènes isolés à partir d'Anisakis simplex est démontrée (le plus souvent sur la base de tests de chauffage à 100°C pendant 30 min). Ceci pose la question de la consommation de poisson cuit parasité par des personnes sensibilisées à Anisakis simplex. Par ailleurs, des essais d'autoclavage réalisés en situation expérimentale sur des extraits d'Ascaris ont montré la persistance de l'allerginicité d'antigènes proches de ceux d'Anisakis simplex. La thermostabilité de ces allergènes, issus d'Ascaris, à des températures largement supérieures à 100°C, pourrait être due à la présence d'épitopes (parties d'antigènes susceptibles d'être reconnus par certaines parties de leurs anticorps spécifiques). Des travaux montrent également que la dénaturation des protéines antigéniques due au chauffage pourrait être suivie d'une " renaturation " au moment du refroidissement.
Variabilité génétique chez Anisakis et chez l'hôte accidentel
Le genre Anisakis présente une grande diversité génétique. Chaque hôte final abrite sa propre espèce d'Anisakis. Il n'existe que peu de recherches sur la virulence des différentes espèces d'Anisakis vis-à-vis de l'homme.
La virulence d'Anisakis vis-à-vis de l'homme semble également liée à la susceptibilité de ce dernier par rapport à l'infestation par Anisakis. Ainsi, il est possible que certaines populations, d'origines basque, cantabrique ou asiatique, présentent une prédisposition génétique favorisant l'apparition de réactions allergiques à une infestation par Anisakis, alors que les populations d'Europe du Nord seraient beaucoup moins sensibles. Des études médicales tentent d'explorer et d'expliquer les différences observées en matière de réponse allergique aux infestations par Anisakis.
Perspectives
Cet article se termine par un large balayage des questions qui restent posées, et des perspectives à envisager dans l'état actuel des connaissances.
L'exposition aux parasites du genre Anisakis vivants ou morts et à leurs antigènes/allergènes, est un problème important et les nombreuses manifestations cliniques qui en résultent sont de plus en plus largement reconnues.
De nombreuses questions d'ordre scientifique et médical se posent au sujet de la sensibilisation des patients, au sujet des allergènes également, et des questions auxquelles devraient répondre les programmes de recherche à venir.
Autres points importants : Quelles sont les recommandations diététiques les plus adaptées pour les patients allergiques ? Simple destruction des parasites par la cuisson ? Ou mesures plus limitatives visant à éviter l'ingestion des parasites tués ? Existe-t-il des modes de transformation et de conservation alimentaires réalistes qui permettraient d'éviter la sensibilisation aux allergènes provenant des parasites du poisson ?
Les parasites du poisson posent également la question du risque professionnel lié à la manipulation, à mains nues, de ces produits potentiellement allergisants.
L'élevage du poisson permet d'éviter l'infestation des poissons par les parasites. La question se pose cependant de la présence d'allergènes dans la farine de poisson utilisée pour la préparation des aliments des poissons d'élevage. Ces allergènes peuvent en effet se retrouver dans leur chair, et leur consommation pourrait alors provoquer des réactions allergiques. Est-il possible de produire des aliments pour poisson exempts de parasites ou d'allergènes ? Et de les certifier comme tels ? Est-il possible de développer des tests commerciaux qui permettent (comme cela existe dans le cas des cacahuètes par exemple) de contrôler la présence d'allergènes dans le poisson destiné à l'alimentation humaine et dans la nourriture des poissons d'élevage ?
Enfin est abordée la question de la désensibilisation des patients, de sa possibilité effective et des diverses voies qui permettraient de progresser dans cette direction.
Analyse réalisée par : Bécel P. / IFREMER