Notice
Etude de l'écologie microbienne du saumon fumé à froid au cours de l'entreposage à 8°C
Study of the microbial ecology of cold-smoked salmon during storage at 8°C
Leroi F., Joffraud J.J., Chevalier F., Cardinal M.
International Journal of Food Microbiology, 1998, n° 39, p. 111-121 - Texte en Anglais
Analyse
En France, le salage-fumage du saumon représente une activité industrielle en pleine expansion. Alors que l'on pouvait constater une certaine désaisonnalisation et banalisation du saumon fumé, le procédé de transformation a connu une évolution sensible au cours des dernières décennies se traduisant par un allégement des traitements (salage, fumage). Cette tendance a pour conséquence la mise sur le marché d'un produit pouvant présenter des problèmes d'ordre sanitaire, par la présence et la croissance possible de Listeria par exemple, et de conservation par détérioration précoce de la qualité organoleptique. Relativement peu de travaux ont été réalisés sur la microbiologie du saumon fumé, les quelques données existantes portent sur le niveau atteint par la flore microbienne au moment où le produit est jugé altéré et la description de cette flore par les différents auteurs est très variable. Cette variabilité peut s'expliquer aussi bien par la diversité des procédés de transformation et des environnements industriels que par la variété des méthodes et des milieux de culture mis en oeuvre pour l'étude de cette flore. L'objet de la présente étude est de décrire l'évolution quantitative et qualitative de la flore microbienne d'un lot de saumon fumé industriellement au cours de son entreposage pendant 5 semaines à 8°C. Un suivi de l'évolution d'indicateurs chimiques et de descripteurs sensoriels a également été réalisé. En plus du travail d'isolement et d'identification des souches bactériennes, une première approche pour évaluer le potentiel d'altération de certaines souches représentatives est également présentée.
Le niveau de la flore totale aérobie dénombrée sur le milieu PCA incubé à 20°C augmente rapidement, passant de 3.103 ufc g-1 à la sortie usine pour atteindre son maximum à 3.106 ufc g-1 après 6 jours d'entreposage. La flore lactique, minoritaire au début, atteint 105 ufc g-1 dés la fin de la première semaine et son maximum après 4 semaines d'entreposage pour représenter alors la flore dominante. La flore productrice d'H2S plafonne à 10.5 ufc g-1 après 2 semaines et reste stable par la suite. Les levures/moisissures demeurent à un faible niveau (103-104 ufc g-1) tout au long de la période d'entreposage. Après 6 jours, des notes d'altération légères mais significatives sont signalées par les membres du jury mais, bien que la flore totale ait alors atteint son maximum, ce n'est qu'après 3 semaines que le saumon fumé est jugé totalement altéré. Il présente alors des odeurs acides/piquantes et aigres/fermentées. L'identification des souches bactériennes isolées tout au long de la période d'entreposage donnent des informations intéressantes sur l'évolution de la composition de la flore. Pendant les 2 premières semaines, les bactéries à Gram négatif sont majoritaires et sont représentées essentiellement par Shewanella putrefaciens aussitôt après transformation puis par Photobacterium phosphoreum. La présence de S. putrefaciens au début n'est pas surprenante puisque cette bactérie est fréquemment rencontrée sur du poisson frais conservé sous glace en aérobiose ou sous vide. Sa présence beaucoup plus discrète par la suite au profit de P.phosphoreum est interprétée par les auteurs comme la conséquence d'une inhibition due au conditionnement sous vide et à la modification de la composition de la fraction gazeuse, la concentration en oxygène diminue alors que celle du dioxyde de carbone augmente. P phosphoreum relativement abondante entre 7 et 21 jours est une bactérie assez résistante au dioxyde de carbone et qui a été isolée à plusieurs reprises de poissons frais emballés sous atmosphères modifiées par d'autres auteurs ainsi que de saumon fumé emballé sous vide. La flore à Gram négatif est ensuite remplacée progressivement par une flore à Gram positif dominée par des bactéries lactiques. Cette présence de bactéries lactiques sur du saumon fumé a été signalée par de nombreux auteurs et il semble qu'elles soient bien adaptées aux conditions qui caractérisent ce type de produits et en particulier le conditionnement sous-vide. Toutes les souches isolées sont psychrotrophes, la plupart d'entre elles sont capables de métaboliser l'arginine et elles peuvent se développer en présence de sel (jusqu'à 8 à 10 %) Au début, la flore lactique est largement représentée par Carnobacterium piscicola puis se diversifie en fin d'entreposage avec l'apparition de différentes espèces appartenant au genre Lactobacillus. Les Carnobactéries sont souvent associées aux aliments riches en protéines, volailles et autres produits carnés, certains fromages, poissons et autres produits de la mer. Quant aux différentes espèces du genre Lactobacillus : L. sake, L. alimentarius et L. farciminis, elles sont souvent rencontrées dans les produits carnés. D'autres bactéries à Gram positif appartenant au genre Brochothrix sont également présentes sur le lot de saumon fumé étudié. Pour évaluer le potentiel d'altération des souches isolées, plusieurs d'entre elles représentant les différents groupes constitués et décrits précédemment sont cultivées sur un extrait liquide de saumon fumé. Parmi les bactéries Gram négatives, la plupart des S. putrefaciens et Aeromonas sp produisent des mauvaises odeurs (putride, H2S, fromage) ce qui n'est pas le cas des Photobacterium phosphoreum. Des Gram positives, seules les souches de Brochothrix produisent des odeurs d'altération (fromage bleu, aigre, acide butyrique). Mises à part certaines souches de Carnobacterium sp qui présentent de légères odeurs de malt, la croissance des bactéries lactiques cultivées sur ce milieu n'entraîne pas d'odeurs particulières. Le rôle des bactéries lactiques dans l'altération du saumon fumé reste à expliciter. Elles peuvent être présentes en grand nombre avant que le produit ne soit altéré mais d'autres auteurs ont montré que des souches isolées de saumon fumé étaient capables sur milieu modèle de produire des odeurs d'altération (aigre, soufrée, de choux). Il en est de même pour les bactéries lactiques de la viande emballée sous-vide ou il a été montré que des souches de bactéries lactiques peuvent produire des flaveurs aigres et acides associées à la production d'acides acétique et lactique ou d'odeurs de fromage dues à la production d'acides isovalérique ou isobutyrique. Des composés soufrés sont également rencontrés. Cependant, il n'existe pas de corrélations claires entre le nombre total de bactéries lactiques et l'altération sensorielle. Dans le cadre de cette étude, il est peu probable que les bactéries appartenant au genre Lactobacillus soient les responsables de l'altération dans la mesure où elles n'apparaissent qu'après la détection des flaveurs d'altération par le jury d'analyse sensorielle. La forte implantation des Carnobactéries au début de l'entreposage pourrait les désigner comme responsables de l'altération, cependant, d'une part elles ne produisent pas réellement de mauvaises odeurs sur extrait liquide de saumon fumé et d'autre part, aucune odeur d'altération n'est détectée lorsqu'elles sont inoculées massivement sur du saumon fumé ou de la viande de boeuf emballée sous vide. Brochothrix sp qui produit des odeurs aigres et de fromage pourrait selon le niveau atteint participer à l'altération du saumon fumé. D'autres études, en particulier sur les composés volatiles libérés au cours de l'altération, restent nécessaires pour confirmer et préciser ces premiers résultats.
Analyse réalisée par : Joffraud J.J. / IFREMER