Notice

Super-réfrigération des aliments : une synthèse

Superchilling of food : A review

Kaale* L.D., Eikevik T.M., Rustad T., Kolsaker K.

*Norwegian University of Science and Technology (NTNU), Dep. Energy and Process Engineering, NO-7491 Trondheim, Norway ; Tél.: +47.73593742/39.21/4066/2509 ; Fax: +47.73.59.38.59 ; E-mail : lilian.d.kaale@ntnu.no

Journal of Food Engineering, 2011, Vol. 107 (2), p. 141-146 - Texte en Anglais

à commander à : l'auteur, l'éditeur ou à l'INIST


Analyse

Cet article est une synthèse bibliographique des publications scientifiques récentes portant sur la conservation des aliments par la technique dite du " superchilling ", pouvant être traduite par super-réfrigération. L'anglicisme superchilling est cependant souvent utilisé en France. Il correspond à une réalité technique précise.

Commençons donc par la définition de ce terme. Le dictionnaire du poisson réfrigéré et surgelé (Torry Advisory Note n° 85) définit le superchilling comme " une technique de conservation consistant à abaisser la température du poisson aux alentours de -2 °C (sous son point de congélation commençante) et à le conserver ensuite aussi précisément que possible à cette température, pour prolonger sa conservation ".

Il est amusant d'observer que cette définition, rédigée à la fin des années 70, est assortie du commentaire suivant : " Technique obsolète ". Cette technique est en effet très ancienne puisque c'est le français Édouard le Danois, Directeur de l'Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes, qui déposa le premier brevet sur cette technique de congélation partielle, en 1920. Elle fut ensuite très étudiée par les anglais, à la Torry Research Station. Et, dans les années 60, la cale frigorifique d'un chalutier français fut même transformée pour conserver le poisson en superchilling.

Après une période d'oubli, elle a été réintroduite par les norvégiens dans les années 90, plutôt pour des applications à terre. Cette réintroduction du superchilling est évidemment liée à la prolongation de durée de conservation qu'il apporte par rapport à la conservation sous glace, mais aussi au fait qu'il permet de réduire les coûts de transport du poisson. En effet le poisson, partiellement congelé, ne nécessite plus d'ajout de glace dans la caisse isotherme, puisqu'il contient en lui-même la glace qui, en fondant, assure le maintien d'une température de réfrigération. Il en résulte un gain de poids sur le colisage qui permet de réduire le coût du transport.

Il faut cependant tout de suite préciser que, dans la mesure où il a subi une congélation partielle, le poisson ainsi conservé n'a plus droit à l'appellation " poisson frais ". D'un point de vue économique, cette appellation est essentielle pour les pêcheurs dans la mesure où elle distingue le poisson de pêche fraîche, du poisson congelé meilleur marché (rappelons à ce sujet que l'essentiel de la flottille de pêche française est constituée de navires de pêche fraîche). La notion de poisson frais est cependant brouillée par les évolutions récentes de la filière, et notamment la commercialisation de poisson décongelé sur les étals de poissonnerie (poisson dit " refresh "). Brouillage accentué par les dérogations accordées à l'étiquetage du poisson décongelé.

Le superchilling se positionne donc entre la conservation sous glace fondante et la congélation. Notons cependant que, d'un point de vue réglementaire, ce positionnement n'existe pas, même si sa pratique se développe, notamment à l'étranger. Les termes de " deep chilling " ou " hard chilling " sont également employés pour désigner ce type de congélation partielle. Pour être complet sur les questions de terminologie, signalons que certains auteurs anglo-saxons utilisent le terme de superchilling pour désigner une conservation effectuée à température légèrement négative, mais sans cristallisation de l'eau de constitution du produit (à une température comprise entre 0°C et le point de congélation commençante du produit). Alors que cette dernière technique est souvent désignée en France par l'anglicisme " chilling ", ce qui ajoute à la confusion et plaiderait pour une clarification des appellations et des pratiques. L'essentiel consistant certainement, notamment pour les pêcheurs, mais aussi vis-à-vis des consommateurs, à bien distinguer le poisson frais, du poisson commercialisé à l'état décongelé qu'il soit issu de poisson congelé, ou de poisson partiellement congelé.

Classiquement, les durées de conservation du poisson atteintes en superchilling sont à peu près doublées par rapport à la conservation sous glace fondante. Les études font cependant apparaître de nombreuses variations par rapport à cette durée de conservation moyenne, en fonction des températures et des espèces testées. Et, dans le cas de la viande, la prolongation peut être bien supérieure (jusqu'à 16 fois plus longtemps qu'en réfrigération simple, pour de la viande de porc), ce qui s'explique aisément par le fait que la flore bactérienne de la viande, provenant d'animaux à sang chaud, n'est pas psychrotrophe comme celle du poisson.

Concernant la qualité des poissons en superchilling (texture, odeur, couleur...), il est intéressant de consulter la Torry Note n° 32 qui lui est consacrée : http://www.fao.org/wairdocs/tan/x5910e/x5910e00.htm <%22>

Un point important : l'utilisation de températures légèrement négatives est très efficace pour limiter la multiplication des bactéries (en particulier celle des bactéries psychrotrophes, qui se développent à des températures inférieures à + 7 °C) et renforce la sécurité sanitaire des poissons ainsi conservés, notamment vis-à-vis du risque histaminique et du risque Listeria.

Les températures légèrement négatives sont un peu moins efficaces pour freiner les processus de dégradation chimiques ou enzymatiques intervenant pendant la conservation du poisson. Néanmoins, et c'est l'un des points sur lequel cet article insiste, même en superchilling, ils pourraient être réduits par une cristallisation rapide de l'eau de constitution du poisson.

Les techniques de mise en œuvre du superchilling ont évolué et privilégient maintenant une congélation superficielle rapide du poisson, suivie d'un équilibrage de température dans l'épaisseur du produit. L'article liste rapidement les différents types de surgélateurs employés dans cet objectif (surgélateurs mécaniques et cryogéniques) et cite aussi un type de surgélateur plus récent : le surgélateur à jets d'air impactants (impingement freezer) qui améliore le coefficient d'échange thermique superficiel et réduit ainsi les durées de congélation des produits peu épais.

L'un des enjeux importants de la technique du superchilling est la quantité de glace formée dans le produit. La plus grande partie de la glace (environ 75 % de l'eau de constitution d'un cabillaud, par exemple) se forme dans une fourchette étroite de température (entre -1°C et -5°C) et une variation de température de l'ordre de 1 degré peut ainsi faire varier la quantité de glace formée de plusieurs dizaines de %. Ainsi, à -2°C, 52 % de l'eau de constitution d'un cabillaud est cristallisée.

La quantité de glace formée et les conditions de sa formation sont importantes pour la qualité des produits conservés en superchilling. L'article présente les études de modélisation réalisées à ce sujet et insiste sur la nécessité d'approfondir les recherches en ce sens, y compris dans l'objectif de réduire la consommation d'énergie, dont une grande partie est consommée par le changement d'état de l'eau (335 kJ par kg d'eau).

En conclusion, le superchilling, qui consiste à conserver le poisson à température légèrement négative, avec formation de glace dans le produit, est une technique ancienne remise au goût du jour, qui permet en pratique de doubler la durée de conservation du poisson sous glace. Elle permet aussi de réduire le coût du transport et ce n'est pas le moindre de ses avantages. L'utilisation de températures légèrement négatives renforce également la sécurité sanitaire des produits et c'est un point très important.

D'un point de vue réglementaire, il faut cependant rappeler que le poisson conservé en superchilling n'a pas le droit à l'appellation " poisson frais " et que cette technique de congélation partielle, intermédiaire entre la réfrigération et la congélation, n'a pour le moment pas d'existence légale. S'il paraît clair que, dans le contexte actuel du marché (notamment en France et dans les pays d'Europe du sud tels que l'Espagne et l'Italie, consommateurs de poisson frais), elle n'a pas vocation à remplacer la conservation sous glace fondante (et encore moins à remplacer la congélation, partout ailleurs), elle présente cependant suffisamment d'intérêt pour justifier le développement d'études visant à optimiser et à clarifier son emploi.

Analyse réalisée par : Becel P. / Ifremer