Notice

Bactéries d'altération du poisson - problèmes et solutions

Fish spoilage bacteria - problems and solutions

Gram L.*, Dalgaard P.

* Department of Seafood Research, Danish Institute for Fisheries Research, Soltofts Plads, c/o Technical University of Denmark bldg 221, DK-2800 Kgs Lyngby, Denmark ; E-mail : gram@dfu.min.dk

Current Opinion in Biotechnology, 2002, Vol. 13, p. 262-266 - Texte en Anglais

à commander à : INIST-CNRS


Analyse

Les auteurs de l’article dressent un bilan des connaissances actuelles en matière d’altération des produits de la mer et rappellent qu’elle est due principalement à la croissance de microorganismes et à leur métabolisme qui aboutit à la formation de composés responsables d’odeurs ou de saveurs désagréables. Cette altération microbienne a des conséquences économiques importantes, se traduisant par une perte estimée à environ 25% des aliments produits, ce qui situe l’enjeu des études sur le développement des techniques de préservation permettant de réduire les pertes.
Le premier chapitre traite de l’écologie microbienne des principaux groupes de produits de la mer. On peut ainsi distinguer les poissons conservés à l’état réfrigéré contaminés par une flore bactérienne psychrotrophe à Gram négatif (Pseudomonas spp, Shewanella spp) des poissons entreposés à des températures plus élevées dont l’altération est due à des bactéries fermentaires comme les Vibrionaceae. Les produits sous emballage contenant du CO2 présentent une flore dominée par Photobacterium phosphoreum et par des bactéries lactiques. Dans les produits contenant une faible quantité de NaCl, un pH relativement faible et emballés sous-vide, la microflore comprend surtout des bactéries lactiques associées à des bactéries fermentaires comme P. phosphoreum et des entérobactéries psychrotrophes. Lorsque les traitements destinés à la préservation deviennent plus drastiques comme dans les semi-conserves (produits marinés etc...), la flore n’est plus représentée que par des lactobacilles et des levures, tandis que les produits séchés/salés peuvent être altérés par des moisissures.
Le concept d’organisme spécifique d’altération (specific spoilage organism = SSO) a été, ces dernières années, particulièrement développé et explicité dans certains produits de la mer par l’un des auteurs de cet article. Ce concept a contribué à la compréhension des mécanismes d’altération. Les SSO représentent généralement une petite fraction de la microflore initiale d’un produit, mais tendent à devenir majoritaire après une certaine durée d’entreposage et sont responsables de son altération. Les définitions des principaux termes liés au concept et utilisés pour l’identification sont rappelées : le potentiel d’altération, capacité à produire des mauvaises odeurs ; l’activité d’altération, capacité à produire les métabolites d’altération en quantité significative ; le domaine d’altération, gamme de température, de pH, d’activité de l’eau et d’atmosphère qui permet la croissance et la production de métabolites ; le rendement (yield factor), lié à la production de ces métabolites dans le produit ou sur des substrats modèles ensemencés avec des «_SSO_» présumés. Dans quelques études, la comparaison des profils chimiques des produits altérés avec les métabolites générés par les microorganismes d’altération potentiels a été utilisé pour l’identification des SSO ; cette approche qui nécessite l’utilisation de méthodes statistiques comme l’analyse multivariée a été utilisée avec un succès limité par le laboratoire de Génie Alimentaire de l’Ifremer pour la mise en évidence des SSO du saumon fumé. L’identification des SSO et de leur domaine d’altération a contribué au développement des méthodes de détermination, de prévision et de prolongement de la durée de conservation des produits de la mer.
Les auteurs récapitulent ensuite les principaux métabolites microbiens jouant un rôle dans l’altération des produits de la mer en soulignant l’importance de la triméthylamine (TMA). La TMA est connue et étudiée pour sa contribution à l’odeur de poisson altéré. Certains de ces métabolites d’altération peuvent être utilisés comme indices de qualité, ils sont préférés aux indices microbiologiques, car les analyses chimiques sont plus rapides. Deux catégories d’indices sont distinguées, les classiques indices de qualité à composé unique comme la TMA, l’hypoxantine, facteur K etc... et les indices de qualité à composés multiples qui combinent plusieurs métabolites reconnus comme pertinents par des méthodes statistiques appropriées qui ont été utilisés plus récemment et sont mieux corrélés aux caractéristiques sensorielles et à la durée de conservation de certains produits. Les auteurs de l’article ont été les principaux promoteurs de ces indices à composés multiples dont la mise en évidence repose sur une combinaison d’analyses chimiques parfois sophistiquées, d’évaluations sensorielles et d’analyses statistiques multivariées. Ils considèrent que dans l’avenir, la recherche de ces indices constituera un élément important des travaux sur l’altération des aliments.
En ce qui concerne l’identification de la microflore, les laboratoires ont surtout eu recours aux tests phénotypiques classiques. Les identifications et la position taxonomique des germes impliqués dans l’altération ont été confirmées par des méthodes moléculaires comme le séquençage de l’ADNr 16S. Des travaux restent nécessaires pour des germes comme Lactobacillus spp. et Carnobacterium spp. pour lesquels l’identification biochimique n’est pas fiable, les auteurs mentionnent dans ce cas le recours à l’analyse des protéines totales par SDS-PAGE mais on peut également utiliser des méthodes moléculaires de PCR avec des amorces spécifiques comme l’attestent certaines publications récentes.
Il a été démontré que la quantité de SSO présents sur un produit peut être utilisée pour prévoir sa durée de conservation restante. Les méthodes de détection de ces germes sont donc d’un grand intérêt. Plusieurs de ces méthodes reposent sur les caractéristiques métaboliques à l’origine de l’altération qui constituent les critères indicatifs et sélectifs d’un germe particulier. Ainsi il existe des méthodes de dénombrement spécifique sur gélose pour les bactéries productrices d’H2S, des méthodes rapides d’impédance-métrie (S. putrefaciens, Pseudomonas spp., P. phosphoreum). Ces méthodes doivent être suffisamment sensibles pour détecter les SSO à partir de 100 germes/g, ce que n’offrent ni les méthodes immunologiques ni les sondes moléculaires.
L’article aborde le thème important des interactions entre les bactéries d’altération qui atteignent des niveaux élevés sur les produits de la mer. Ces interactions entre groupes bactériens peuvent influencer leur croissance et leur métabolisme. Les bactéries lactiques peuvent inhiber la croissance des autres bactéries par la formation d’acide lactique, de bactériocines ou par compétition pour des nutriments, ce qui peut expliquer leur dominance dans les produits légèrement préservés. Enfin les auteurs font état de composés, les homosérines lactones acylés (AHL) utilisés comme signaux chimiques de communication par certaines bactéries d’altération à Gram négatif. Les auteurs estiment que la compréhension du rôle de ces composés dans l’altération constituera un champ d’investigation pour les recherches futures.
Le développement des modèles prévisionnels de la croissance des microorganimes et de la durée de conservation des produits de la mer repose en partie sur le concept de SSO. Les modèles de croissance de Brochothrix thermosphacta, P. phosphoreum, Pseudomonas spp. et S. putrefaciens ont été validés pour la prévision de la durée de conservation de différents poissons frais emballés sous-air ou atmosphère modifié enrichi en CO2. Des modèles prenant en compte la distribution des bactéries d’altération sur le produit et la température d’entreposage ont également été proposés.
Plusieurs modèles validés de croissance des SSO ont été intégrés dans des logiciels d’application pour permettre la prévision de la durée de conservation des produits dans des conditions d’entreposage à température constante ou variable. Dans l’avenir, l’élaboration de modèles pour prévoir le développement des associations de flores d’altération dans de nouvelles formulations de produits légèrement préservés reste un défi important dans le domaine de la microbiologie des produits de la mer.
La compréhension des mécanismes d’altération et la mise en évidence des SSO peuvent permettre d’imaginer de nouvelles techniques de préservation. Ainsi l’utilisation d’emballage sous CO2 pour le poisson frais qui permet l’inhibition des bactéries d’altération (Shewanella et Pseudomonas) et le prolongement de la durée de conservation. Cependant, en présence de P. phosphoreum, dont la croissance n’est pas affectée par le CO2, le produit s’altère pratiquement à la même vitesse que ceux emballés sans CO2. Dans ce cas, il faut envisager l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques de P. phosphoreum (congélation, épices etc...). L’emploi de bactéries lactiques et/ou de bactériocines a également été expérimenté pour combattre l’altération et inhiber des bactéries pathogènes dans certains produits. Cette approche, connue sous le terme de biopréservation, fait actuellement l’objet de recherches sur des produits légèrement préservés et prêts à consommer tels que crevettes, marinades, poissons fumés etc.. Dans l’avenir, les auteurs prévoient également de mettre à profit les connaissances sur les signaux chimiques de communication entre les bactéries (AHL) pour développer des méthodes consistant non pas à inhiber la croissance mais à bloquer certaines réactions comme la production d’enzymes impliquées dans l’altération.
Les auteurs concluent en mentionnant les pistes de recherche pour le futur. Ils soulignent le fait que si l’altération des produits due à un seul SSO est aujourd’hui bien connue, il n’en est pas de même pour d’autres produits de la mer comme les produits légèrement préservés (marinades, poissons fumés etc...) où une flore complexe peut interagir. Ils reste donc à élucider les mécanismes d’altération de ces produits, à développer des modèles prévisionnels de conservation et à mettre au point des méthodes rapides et spécifiques de détection des microorganismes d’altération de ces différents produits. Enfin ils estiment avec pertinence que des progrès significatifs seront obtenus si la problématique de l’altération des produits de la mer est abordée dans sa complexité comme un champ de recherche aussi dynamique que les autres domaines de l’écologie microbienne combinant des études de cinétique de croissance et de métabolisme, des techniques moléculaires qui permettront notamment d’appréhender la dynamique des communautés microbiennes, de la chimie analytique avec en particulier l’analyse des composés volatils, de l’analyse sensorielle et de la modélisation.
Analyse réalisée par : Joffraud J.J. / IFREMER